Surprenante fécondité maghrébine

Au début des années 1970, la fécondité restait très élevée en Tunisie et au Maroc (6,5 enfants par femme) malgré les programmes de planning familial mis en œuvre au milieu des années 1960 et culminait même à plus de 8 en Algérie en raison du baby-boom qui a suivi la guerre de libération. Personne n’imaginait alors qu’une baisse rapide puisse réellement s’engager dans ces pays aux traditions plutôt natalistes.

Une baisse tardive mais rapide

Figure1vallin

Pourtant, contre toute attente, dès l’an 2000, la fécondité maghrébine avait atteint ou presque le seuil emblématique de 2,1 enfants par femme, qui permet d’assurer à long terme un strict remplacement des générations : 2,08 en Tunisie, 2,2 en Algérie et 2,5 Maroc (Ouadah-Bedidi et Vallin, 2000). Plus étonnant, la baisse avait été d’autant plus rapide qu’elle avait tardé à venir. Ainsi, l’Algérie a-t-elle opéré, à partir des années 1980, un rattrapage spectaculaire au point de quasiment rejoindre la Tunisie en 2001 après avoir devancé le Maroc. Quant à la Libye, entrée la dernière dans le mouvement, la baisse y a été encore plus rapide qu’en Algérie, tombant de 7,6 enfants par femme en 1982 à 3,1 en 2000 (figure 1).

Tout semblait alors indiquer que sa chute conduise bientôt à des taux de fécondité nettement inférieurs au seuil de remplacement : non seulement dans certaines grandes villes le fait était déjà avéré (1,9 en 1998 à Alger, Annaba et Tizi-Ouzou; 1,5 en 1999 à Tunis) mais c’est ce qui arrivait dans les pays en développement ayant connu un peu plus tôt une baisse rapide de fécondité en Asie comme en Amérique latine.

Nouvelle surprise au Maghreb : après leur extraordinaire convergence des années 1980 à 2000 vers le seuil de remplacement, les quatre pays évoluent aujourd’hui de façon très contrastée. En Tunisie, le taux de fécondité est restée parfaitement stable à 2,1 enfants par femme de 1999 à 2009 avec, il est vrai, une légère hausse récente (2,2 en 2012). En Algérie, au contraire, 2,2 a été son minimum et il ne cesse d’augmenter depuis, dépassant 3,0 en 2013. Dans le même temps, au Maroc et en Libye, où le seuil de remplacement n’était pas encore atteint, il a continué à baisser rapidement jusqu’à 2,2 et 2,5 (en 2010 et 2009, respectivement). Au total, non seulement aucun de ces pays n’est encore tombé sous le seuil de remplacement mais l’Algérie opère depuis dix ans une vive remontée qui la place aujourd’hui nettement au-dessus du Maroc et même de la Libye qui avait le plus tardé à entrer dans le mouvement.

Dans un contexte où tout est mis en œuvre pour stigmatiser et bannir la fécondité hors mariage, toute élévation de l’âge au mariage des femmes entraîne automatiquement une diminution de la fécondité. De fait, toutes les études sur la baisse de la fécondité maghrébine des décennies 1970 à 1990 ont montré que la montée de l’âge moyen au premier mariage des femmes en a été, du moins au départ, l’instrument majeur (Ayed et Jemai 2001, Ouadah-Bedidi 2004, Bourchachen, 1996). Ce n’est que dans un second temps que la contraception a pris le relai pour finalement faire à peu près jeu égal avec l’élévation de l’âge au mariage.

Le rôle de l’âge au mariage

Dans les quatre pays, l’âge des femmes au premier mariage s’est rapidement élevé jusqu’au milieu des années 1980, mais il a ensuite divergé, augmentant fortement en Libye (jusqu’à près de 33 ans en 1995), mais aussi en Tunisie et en Algérie, alors qu’il cessait d’augmenter au Maroc. Cette divergence ne nous apprend malheureusement rien sur celle, beaucoup plus récente, de la fécondité. Elle nous indique seulement que dans la dernière décennie de baisse de la fécondité, le rôle de l’élévation de l’âge au mariage a certainement été encore plus grand en Libye qu’en Tunisie et en Algérie, mais aussi qu’au Maroc la contraception a dû prendre le relais beaucoup plus tôt que dans les trois autres pays.

Les mesures les plus récentes de l’âge au mariage tirées des derniers recensements ou enquêtes expriment une réalité ancienne d’une douzaine d’années. Seule l’observation des mariages d’année en année (grâce par exemple à leur enregistrement à l’état civil) permet de suivre l’évolution récente de la nuptialité. Elle n’est disponible que pour la Tunisie et seulement pour la période 1989-2011. Dans ce pays l’augmentation de l’âge au mariage s’est nettement ralentie et tend à se stabiliser dans les dernières années aux alentours de 28 ans. Cette stabilisation en douceur est sans aucun doute l’une des raisons de celle observée pour la fécondité depuis la fin des années 1990. Pour l’Algérie, ne disposant pas de données d’état civil sur l’âge au mariage, on peut toutefois se demander si la hausse de ce dernier ne s’est pas arrêtée plus brutalement qu’en Tunisie. On peut même supposer qu’il a brusquement reculé puisque le taux annuel de nuptialité tous âges confondus a presque doublé de 2000 à 2010, ce qui aurait difficilement pu avoir lieu sans un rajeunissement des mariages. Une telle hypothèse pourrait évidemment être la principale cause de la hausse récente de la fécondité.

Et celui de la contraception

Peut-on trouver du côté de la contraception de quoi compléter l’explication ? En Tunisie, le recours à la contraception dans le mariage a continué de progresser jusqu’en 1995 et semble s’être stabilisé ensuite à un peu plus de 60 %. Associé à la stabilisation en douceur de l’âge au mariage, cela explique bien l’arrêt de la baisse de la fécondité observé depuis 2000, mais non la très légère hausse des tout dernières années qui étonne d’autant plus que la contraception a elle aussi un peu augmenté. Au Maroc, la très vive augmentation de la contraception des années 1990 aux années 2010 conduisant aujourd’hui à un niveau supérieur à ceux observés en Tunisie et en Algérie peut expliquer que la baisse de la fécondité se soit poursuivie malgré l’arrêt plus précoce de la montée de l’âge au mariage. Au contraire, si malgré son retard en matière de contraception, la Libye a pu ramener sa fécondité au même niveau que les trois autres pays, c’est en raison de la formidable hausse de l’âge au mariage, puisque la contraception n’a guère évolué. Quant à l’Algérie, le retournement de la fécondité observé depuis 2002 est fort probablement le résultat de deux phénomènes jouant dans le même sens : d’une part le rajeunissement de l’âge au mariage et de l’autre une diminution de la pratique contraceptive révélée par la récente enquête MICS-4 (Multiple Indicator Cluster Surveys, version 4 dont les résultats viennent d’être publiés.

Pour en savoir plus

Ayed Mohamed et Jemai Heidi, 2001. Les déterminants de la fécondité, in : Jacques Vallin et Thérèse Locoh (dir), Population et développement en Tunisie. p. 171-201. Tunis, CERES, 801 p.

Bourchachen Jamal, 1995. Contribution de la nuptialité et de la contraception à la baisse de la fécondité au Maroc, Revue marocaine de droit et d’économie du développement, n° 36, p. 45-61.

Ouadah-Bedidi Zahia, 2004. Baisse de la fécondité en Algérie : transition de développement ou transition de crise ? Paris, Institut d’études politiques, 710 p. (Thèse de doctorat).

Ouadah-Bedidi Zahia et Vallin Jacques, 2000. Maghreb : la chute irrésistible de la fécondité, Population & sociétés, n° 359

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